Interview de Johann Bodin, illustrateur pour Magic the Gathering, les Éditions Bragelonne, etc …

Peux-tu te présenter en quelques lignes ?
Je suis Johann Bodin qui pendant quelques années oeuvrait sous le pseudo YOz en tant qu’illustrateur. J’ai 47 ans et je vis en Normandie.
Raconte-nous dans quelles conditions tu dessines ?
Après trop d’années visé derrière le même poste de travail, je vagabonde chez moi dorénavant. Je bosse dans mon salon, sur la table à manger, sur la table basse voir sur ma terrasse que ce soit en digital avec mon petit PC portable ou en tradi! Et ça me convient très bien. Je bouge!!
J’ai jamais eu d’atelier et je me suis séparé de ma table à dessin il y a déjà quelques temps..
Café/ clope pour les sales manies..sinon j’ai pas d’horaire particulier…Mais je fatigue plus avec l’âge ahaha !
Comment nourris-tu ton imaginaire, tes histoires ?
En premier lieu, je dirai la luxuriance de la nature..tout ce que je vois, observe, contemple. Toujours à la recherche de nouvelles formes qui amènent des idées.
Sinon beaucoup de choses artistiques, peintures/illustrateurs de renoms évidemment apprendre de ses paires… cinéma, BD, livres, jeux, l’architecture, l’archéologie, l’histoire, l’ethnologie..tout m’intéresse à vrai dire.

Quel a été ton parcours pour devenir illustrateur et pouvoir maintenant illustrer pour wizard of the coast, magic the gathering, ou les éditions Bragelonne ?
J’ai toujours beaucoup dessiné, et c’est donc tout naturellement que j’ai commencé des études de dessinateur publicitaire à 16 ans, puis un bac pro communication graphique et fini par les Beaux Arts (je m’en serai bien passé). J’ai du mangé mon pain noir avec pas mal de boulots alimentaires pendant plusieurs années. En 2004 ou 2005, en autodidacte, je plonge dans l’illustration digital, ce qui m’a permis une progression plus rapide à tous les niveaux artistiques. Je n’ai jamais cessé de dessiner ou de peindre même pendant cette période assez intense, quoique pas encore très viable. 2007 je reçois le prix Art et Fact qui me fait connaître aux éditeurs français, et au bout de deux années à faire des couvertures de romans, Wizards of the coast me contacte pour une première série de cartes à réaliser.
Et je suis pas peu fier d’avoir illustré pas loin de 250 cartes à ce jour.

Peux-tu nous expliquer ce qui différencie ta manière de travailler pour des éditeurs américains avec celle pour des éditeurs français ?
Pour un éditeur français, le travail est plus simple car j’illustre un seul roman ou une série de roman. Même si je travaille avec un DA, j’ai beaucoup de liberté car il n’y a pas d’image précédente pour m’influencer ou me bloquer.
Je fais beaucoup plus de dessins préparatoires pour Magic, car le cahier des charges est bien plus conséquent, les enjeux commerciaux, la diffusion, sans parler de la future comparaison avec les autres artistes qui travaillent en même temps que moi sur le même set, dont je découvrirai leurs travaux qu’à la sortie…tout ça met pas mal de pression. A moi de la transformer en bonne pression..sinon ça peut devenir écrasant.
…tout ça met pas mal de pression. A moi de la transformer en bonne pression..sinon ça peut devenir écrasant.
Techniquement comment travailles-tu tes illustrations en numérique ?
Mon processus change d’une commande à une autre. J’ai pas de règle, mise à part un travail de recherche préliminaire qui s’impose. C’est les sujets et comment je vais les appréhender qui me dictent la « bonne manière de faire ». C’est très instinctif.
Pour The witcher édité chez Bragelonne, j’ai dessiné tous mes personnages en traditionnel à la mine rouge, puis j’ai scanné et fais la mise en couleurs avec photoshop…là c’était simple car j’avais à faire des personnages sans fond. Mais en général sur des illustrations plus complexes, j’ai beaucoup (trop) de calques..des mini-réglages de températures de couleurs de contrastes, ou des tests de formes ou de composition. Je peux bosser sur plusieurs versions avant de finir sur la bonne. Faut dire que les possibilités sont tellement étendues que l’on peut vite se compliquer la vie à ne pas faire de choix…ou à être trop maniaque…j’en connais^^

Par rapport à ton travail personnel sur papier, comment choisis-tu tes sujets ?
Je vois l’ensemble de mon travail personnel et pro comme un équilibre à avoir. En gros, si un éditeur me demande des images très dark, j’ai besoin par un travail perso de revenir vers la lumière avec des sujets plus doux. Et évidemment, quoi que c’est assez rare, l’inverse marche aussi.
Avec cette équilibre les sujets viennent naturellement. J’aime bien faire des séries pendant plusieurs semaines et passer à autre chose. Je me lasse vite alors changement et la recherche de nouvelles techniques (médium/support) et de sujets me stimulent énormément.
J’ai utilisé beaucoup le petit logiciel Alchemy pour surtout réaliser des portraits en miroir.
Decadent games en 2016 (projet BD avorté) 100% en digital.

En 2019, j’ai sorti le livre inktoberbook (https://www.facebook.com/yozinktoberbook?locale=fr_FR) qui réussit deux mois de travail pour raconter une histoire surréaliste noire. J’avais exposé les originaux aux Furieux à Paris.
Et en ce moment je finis ma série Roshwen. Une série d’une trentaine d’aquarelles en petit format.

Lorsque tu réalises une illustration pour Magic gathering par exemple, par quels états émotionnels passes-tu ?
Je ne prends jamais un travail à la légère. Et quand c’est pour Magic, là je me mets un, voir plusieurs crans au dessus de pression. C’est dangereux d’être trop à la cool, car les images s’en ressentent. Faut être dans la joie, certes, pour bien faire mais pas trop sûr de soi et sûrement pas foufou. Par d’expérience je sais qu’avec le recul je me dis que j’aurai toujours pu faire mieux. Pour tout dire, après le stress de finir dans les temps, puis une forme de soulagement d’avoir une image validée par le DA, il est courant que plusieurs mois après sa réalisation je ne vois plus que ses défauts….c’est bien connu, ils sont jamais contents ces artistes!

Quand Magic me contacte, ils m’envoient un PDF sécurisé d’environ deux cents pages avec toutes les caractéristiques du set sur lequel je vais devoir travailler.
Ce PDF est appelé style guide, on y trouve l’histoire du set, et tous les éléments de design pour les cinq couleurs du jeu. Tous les environnements, les designs des personnages, de leurs armes, habits, pouvoir etc..les races, les créatures..tout est dans un ensemble cohérent préparé en amont par un dixième d’artistes, un ou deux ans avant que nous les envoyer.
Pour la commande d’une carte, j’ai un numéro de commande, un titre provisoire, un descriptif pour la mécanique du jeu avec les pages du PDF qui vont me diriger, évidemment la couleur ce qui est très important pour l’humeur de la carte. Le fait que ce soit une créature implique une vue de plein pied, tandis qu’un sort est souvent un gros zoom ou à l’inverse une vue très large. A ce stade je ne sais pas si la carte est forte ou pas.
J’ai une dizaine de jours pour proposer plusieurs croquis. Il arrive que je n’en propose qu’un car ma vision est claire, mais je fais un petit argumentaire pour défendre ma proposition. Après validation du croquis j’ai une vingtaine de jours pour réaliser le final. Il peut y avoir des ajustements à la fin. Par contre si ces ajustements sont trop nombreux Magic me paie un peu plus. Le prix d’une carte varie ( entre 1200 à 2500 dollars) pour beaucoup de raisons: tailles plus grandes, personnage planeswalker plus spécifique…etc.
J’ai deux exemples de cartes ou j’avais, pour la première carte, qu’une seule liberté, c’était la composition car tous les personnages étaient déjà designés..ils y en avaient beaucoup!
Sur l’autre, mise à part la couleur de la carte et le fait que ce soit une créature même connue, j’avais carte blanche pour créer un Dracula pour Magic. Gros kiff!
Merci à Johann Bodin pour cette interview.
Si vous voulez en apprendre plus sur le travail de Johann ou ses illustrations, voici quelques liens:
https://www.noosfere.org/livres/auteur.asp?NumAuteur=2147187071
http://www.magiccorporation.com/gathering-cartes-illustrateur-518-johann-bodin.html
Vous pouvez aussi vous faire plaisir en devenant l’heureux propriétaire d’un de ses dessins en vous rendant sur sa boutique domouk: