Paul, auteur de bande dessinée : créer malgré le handicap et les défis de l’édition indépendante

Le 5 juin, 2025 — auteurindépendant, création, dessin, handicap, humour - 6 minutes de lecture
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Vous êtes issu d’une famille d’artistes. En quoi cette influence familiale a-t-elle façonné votre propre approche du dessin et de la bande dessinée ?

Ce qui est sûr, c’est qu’avoir des parents artistes a marqué mon enfance et ma vie, tant ce qui se passait à la maison était riche et intéressant. Partout autour de moi, il y avait leurs peintures, leurs dessins, leurs sculptures et je les voyais travailler chacun dans leur atelier. Il est possible que ça m’ait conduit, par imitation ou imprégnation, à être créatif et à cultiver mon regard. C’est peut-être aussi grâce à ça que je sais composer des images (même si mon style, je le reconnais, est plutôt simple). Mais mes parents ne m’ont transmis aucune technique particulière et ne s’intéressaient pas trop à la BD… sauf à la mienne, évidemment !

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Vous êtes devenu tétraplégique à l’adolescence. À quel moment avez-vous décidé d’aborder ce sujet par l’humour et le dessin ? Quel a été le déclic ?

L’humour m’accompagne depuis toujours. C’est ma façon à moi, presque instinctive, de rechercher la sympathie des autres et de les mettre à l’aise, pour qu’on soit bien ensemble. Après mon accident, c’est devenu encore plus fort et quasiment existentiel : pour rassurer mes proches et me convaincre moi-même que tout allait bien se passer, que beaucoup de choses allaient changer dans cette nouvelle vie, mais que je resterai toujours le même Paul ! L’envie d’utiliser l’humour au-delà du cercle de mes proches s’est imposée un peu plus tard, quand j’ai vu que je faisais rire tout le monde, y compris mes copains étudiants, en racontant les anecdotes de ma vie en fauteuil. Il y avait tant à dire ! J’ai fait les premières ébauches de dessins sur mon ordinateur et j’ai réussi à créer un petit personnage. C’était dans les années 90, et le chemin allait être encore long avant la publication…

Comment travaillez-vous ? Avez-vous un rituel de création, une méthode particulière pour concevoir vos dessins ?

Mon handicap est plutôt lourd et, par exemple, j’ai perdu la motricité de mes mains. Je ne peux donc pas tenir un crayon pour dessiner ou écrire normalement. La solution est venue des ordinateurs. Le destin a voulu qu’en janvier 1984, à peine 10 jours après mon accident, soit commercialisé le premier Macintosh avec cette chose révolutionnaire qui allait devenir tellement utile pour moi : la souris ! Aujourd’hui encore, mes dessins sont presque entièrement réalisés avec cet outil. Mais j’ai trouvé de nombreuses astuces et ,notamment, l’utilisation des images bitmap à différents niveaux de définition pour éviter que mes dessins aient une apparence numérique. C’est une façon de travailler qui prend beaucoup de temps, mais le résultat est intéressant. Surtout, ça crée un style bien à moi et avec lequel j’ai pu toucher des lecteurs.

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Comment vos études en sciences politiques et votre expérience dans la communication ont-elles nourri votre travail d’auteur et de dessinateur ?

Dès les premières semaines de cours à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, j’ai compris que j’avais quelques manques en culture générale par rapport aux meilleurs élèves, alors que jusque-là je m’étais toujours cru plutôt lettré. J’ai donc remis sérieusement le nez dans les livres et j’ai bossé, ce qui n’a pu que faire du bien ! Mais à quel point (et comment…) cela a-t-il influencé mon écriture, je n’en sais rien. J’ai l’impression qu’à défaut de savoir mener de très grandes réflexions, j’ai toujours eu un certain sens de la formule. Il faut bien avoir ses petits talents !

Trouvez-vous que les médias jouent un rôle suffisant dans la sensibilisation au handicap ?

Je suis tétraplégique depuis plus de 40 ans et je peux donc témoigner de l’amélioration spectaculaire qui a eu lieu entre le début des années 80 et aujourd’hui. Au cinéma, à la télévision, dans la presse et même dans la littérature, le handicap est désormais un sujet fréquemment abordé et le grand public y est donc beaucoup mieux sensibilisé. On peut peut-être regretter que le handicap moteur ait pris pratiquement toute la place dans cette représentation médiatique, mais le succès du film « Un petit truc en plus » montre qu’un rééquilibrage est possible. C’est bien et il faut continuer dans cette voie !

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Comment percevez-vous la place des auteurs indépendants dans le monde de l’édition aujourd’hui ?

Ce que je constate, c’est que l’engouement pour la bande dessinée, sous toutes ses formes, ne faiblit pas. Il y a donc beaucoup de lecteurs, ce qui est positif, mais il y a aussi beaucoup de créateurs et une profusion de publications, ce qui pose des problèmes de visibilité. Autrement dit, se faire un nom devient vraiment compliqué pour un auteur indépendant. Gagner sa vie aussi. D’où l’importance de disposer d’une solution de diffusion qui vous accompagne bien et qui ne vous plume pas en plus au passage !

Quels conseils donneriez-vous à une personne en situation de handicap qui souhaite se lancer dans la bande dessinée ou l’illustration ?

Je ne me sens pas tellement en position de donner des conseils. Je suis autodidacte et je ne connais donc pas les bonnes adresses pour se former. En revanche, je peux témoigner du plaisir qu’il y a à disposer d’un moyen d’expression bien à soi. Avoir une idée, la mettre en scène, travailler et progresser jusqu’à obtenir le résultat qu’on souhaitait (voire mieux !), c’est une satisfaction qui n’a pas beaucoup d’équivalent. Donc, handicap ou pas, il faut s’autoriser l’aventure de la création. Mais sans naïveté et en sachant qu’il vaut mieux disposer d’autres sources de revenu à côté

Merci beaucoup à Paul Samanos d’avoir répondu à nos questions.

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Joubert Vincent

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