L’œuf ou la poule : la science-fiction ou la science ?

Le 2 avril, 2025 , mis à jour le 14 mai, 2025 — IA, science-fiction, sciences, technologie - 7 minutes de lecture
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Depuis des siècles, des écrivains visionnaires ont imaginé des inventions qui ont ensuite été concrétisées par des scientifiques et ingénieurs. À l’inverse, les avancées scientifiques ont nourri l’imaginaire et les œuvres singulières de certain(e)s auteurs/trices et cinéastes.

On peut donc se poser la question, la science-fiction inspire-t-elle la science et la technologie, ou est-ce l’inverse ?

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Film de 1954, tourné par Richard Fleischer et Walt Disney Productions

Jules Verne et Arthur C. Clarke : Les visionnaires de la science-fiction

Bien avant que la science-fiction ne devienne un genre populaire, des auteurs comme Jules Verne et Arthur C. Clarke ont anticipé des technologies révolutionnaires.

Jules Verne, dans Vingt mille lieues sous les mers (1870), décrit le Nautilus, un sous-marin électrique ressemblant étonnamment aux sous-marins modernes. Dans De la Terre à la Lune (1865), il imagine un voyage spatial avec une précision frappante, préfigurant les missions Apollo. (Source)

En 1945, Arthur C. Clarke publie un article où il propose l’idée des satellites géostationnaires, qui deviendront une réalité deux décennies plus tard. Avec -La sentinelle-, en 1951, il anticipe l’écriture de l’odyssée de l’espace qu’il écrira en même temps que l’écriture du film du même nom de Stanley Kubrick. (Source)

Quand la science-fiction devance la technologie

Ainsi, la science-fiction a souvent donné des idées aux ingénieurs, aux chercheurs:

  • Les téléphones intelligents : Dans Star Trek (1966), les personnages utilisent des « communicateurs » sans fil, annonçant les futurs smartphones. (Source)
  • La réalité virtuelle : Des films comme Tron (1982) et Total Recall (1990) (inspiré par l’écrivain visionnaire américain Philip K.Dick ) ont anticipé les casques de VR modernes, aujourd’hui utilisés dans le divertissement, la médecine et la formation. (Source)
  • Les hologrammes : Dans Star Wars, les hologrammes sont monnaie courante. Si la technologie réelle n’en est pas encore au même niveau, des concerts avec des « hologrammes » de Tupac ou Michael Jackson ont déjà eu lieu. (Source)
  • Les champs de force : Boeing a breveté un système de protection inspiré des boucliers énergétiques vus dans Star Wars. (Source)
  • Les interfaces cerveau-machine : Neuralink d’Elon Musk développe des implants neuronaux qui rappellent ceux vus dans Matrix et Ghost in the Shell. (Source)
Total Recall
Total Recall de Paul Verhoeven

Quand la technologie et les sciences inspirent la science-fiction

Mais si la science-fiction précède parfois l’innovation et la technologie, l’inverse est aussi vrai.

La théorie de la relativité d’Einstein

Elle a influencé de nombreux artistes, dont Salvador Dalí, qui explorait la nature du temps et de l’espace. Son œuvre La Persistance de la mémoire (1931), avec ses montres molles, évoque une perception subjective du temps, souvent associée à l’idée d’une temporalité fluide et déformée, bien que Dalí ait davantage explicitement intégré les sciences dans ses œuvres ultérieures.

Souvent cette théorie a été le point de départ de scénarios osés, souvent intéressants (retours vers le futur, La planète des singes, etc …) avec en contre partie de grandes libertés et un détournement exagéré de la découverte d’Einstein, dénoncés par les physiciens eux mêmes.

Interstellar de Christopher Nollan sent sort bien, l’astrophysicien Kyp Thorn, ayant lui même participé à l’écriture du scénario.

La décomposition spectrale

Le mouvement impressionniste, apparu au XIXe siècle, a coïncidé avec les avancées en optique, notamment les travaux de James Clerk Maxwell sur la lumière et la couleur. Bien que non directement inspirés par la physique, les impressionnistes, comme Monet et Renoir, ont cherché à capturer les effets de la lumière et ses variations, en écho aux découvertes scientifiques sur la décomposition spectrale et la perception visuelle.

L’intelligence artificielle et la robotique 

Les progrès en IA ont inspiré entre autres Ex Machina (2014), qui explore la frontière entre humains et machines. (Source)

Réalité augmentée, expériences immersives:

les nouvelles technologies permettent aussi aux artistes urbains de repousser les limites de leur art, comme les graffitis en réalité augmentée (AR Graffiti) ou les projections lumineuses interactives sur les bâtiments (video mapping).

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Salvador Dali persistance de la mémoire 1931

Le cas particulier de la chine : science-fiction et développement technologique

En Chine, la relation entre la science-fiction et le développement technologique est particulièrement significative. Depuis la fin de la dynastie Qing (1860-1911), la science-fiction a été introduite en Chine avec un objectif clair : servir d’outil pour la vulgarisation scientifique et encourager le progrès technologique. Ce genre littéraire, souvent désigné sous le terme de « roman scientifique » (kexue xiaoshuo), a été utilisé pour stimuler l’imaginaire collectif et promouvoir l’innovation.

Cette instrumentalisation de la science-fiction a perduré, influençant des œuvres majeures telles que la trilogie du Problème à trois corps de Liu Cixin. Ce roman explore des thèmes scientifiques complexes tout en reflétant les défis historiques et contemporains de la Chine, notamment en intégrant des éléments de la Révolution culturelle.

Aujourd’hui, la science-fiction en Chine connaît une croissance exponentielle, avec des revenus dépassant pour la première fois 100 milliards de yuans (14,1 milliards de dollars) en 2023, soit une augmentation de 29,1 % par rapport à l’année précédente. Cette expansion est alimentée par des avancées technologiques rapides et des adaptations réussies de livres de science-fiction locaux en films et séries télévisées. Voir: La Science-Fiction Chinoise, Nouveau Moteur de Croissance et celui sur la croissance de l’industrie chinoise de la science-fiction.

Le gouvernement chinois reconnaît le potentiel de la science-fiction pour stimuler l’innovation. Des événements majeurs, tels que la Convention de l’Industrie de la Science-Fiction, sont organisés pour encourager l’intégration de la science-fiction avec la technologie, la culture et diverses industries.

Ainsi, en Chine, la science-fiction et la technologie entretiennent une relation symbiotique, chacune inspirant et façonnant l’autre dans un cycle continu d’innovation et de créativité. Source

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Le problème à trois corps vol1, liu cixin, édition Chongqing Publishing House

Un cycle d’inspiration mutuelle ? vraiment ?

Comme on peut le voir, la science-fiction et l’innovation technologique, la recherche, s’alimentent mutuellement dans un cycle perpétuel. Difficile donc de dire laquelle, comme de la poule ou de l’œuf, est arrivée en premier.

Il y a néanmoins fort à parier que l’imagination humaine ait été le point de départ de cette course technologique, orientant les innovations futures. Ces avancées, moteurs d’un progrès plus ou moins souhaité, plus ou moins réussi, ont façonné l’évolution de l’humanité jusqu’à sa situation actuelle.

Aujourd’hui la science-fiction et la technologie évoluent ensemble, mais n’arrivent-on pas à une nouvelle ère ou la poule gobe l’œuf, où la technologie avec notamment l’IA générative, cannibalise et s’approprie gloutonnement les arts (l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la poésie, la littérature, le théâtre, le cinéma, la photographie et la bande-dessinée) ?

Cette IA générative permet-elle réellement aux créateurs de s’exprimer, d’imaginer, de façonner, de décrire à leur image le monde de façon libre et totalement subjective ?

N’y a t-il pas que l’humain lui même à travers ses mains, son esprit, qui ne soit capable de retranscrire, de créer cette part de rêve de l’humanité, cette insoutenable légèreté de l’être à travers ses œuvres artistiques ?

Si l’IA reste au service de l’humanité et non l’inverse, alors l’imagination humaine pourra peut-être toujours garder une longueur d’avance !

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« Comment servir l’homme »- épisode de la série Twilight Zone.

(l’illustration de couverture est de Didier Graffet)

Joubert Vincent

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