Le monde des 157 couleurs de Paul Gout, par Dominique Cardon et Iris Brémaud

Le 11 novembre 2024 , mis à jour le 15 novembre 2024 — bleu, couleur, fabrication, paulgout, phytochimie, rouge, textile - 6 minutes de lecture
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Interview de Dominique Cardon

Bonjour Dominique, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

Je suis une historienne et archéologue spécialiste de l’histoire des techniques textiles et de la teinture par les colorants naturels, directrice de recherche émérite au CNRS. Pionnière dans ces domaines de recherche, et auteure des deux ouvrages de référence mondiale sur les colorants naturels, en français et en anglais, j’ai collaboré avec l’UNESCO pour assurer la direction scientifique d’une série de congrès internationaux transdisciplinaires sur les teintures naturelles dans différents pays du monde. A ces titres, j’ai eu l’honneur d’être nommée chevalier de la Légion d’honneur en France, chevalier des Arts, des lettres et de la culture à Madagascar, de recevoir la médaille de l’UNESCO « Penser et construire la Paix » et la médaille d’argent du CNRS.

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⁠Qu’est ce qui vous lie avec le monde de la teinture et de la fabrication des couleurs naturelles ?

D’abord l’amour de la couleur, et juste après, la pratique. Pour comprendre les techniques de teinture des civilisations précolombiennes dont j’étais partie étudier les textiles au Pérou, j’ai appris la teinture par les colorants naturels auprès de teinturiers traditionnels dans les Andes et en Amazonie, puis, à mon retour en Europe, en Irlande, et j’ai poursuivi mes expérimentations chez moi, dans la montagne cévenole, en reproduisant les recettes de teinture des traités techniques du Moyen Âge. Cela fait 50 ans que j’entretiens un jardin de plantes tinctoriales, tant indigènes qu’exotiques.

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Comment avez-vous découvert les cahiers de Paul Gout et qu’est-ce qui vous a poussé à écrire un ouvrage quasi scientifique ?

C’est la famille des propriétaires de ce manuscrit extraordinaire qui m’a contactée par l’intermédiaire d’un ami phytochimiste, ayant entendu parler de mes travaux et publications sur des documents du même type, conservés dans les archives publiques du Languedoc.

Écrire des ouvrages scientifiques, abordant toutes les sciences concernées, c’est ma vocation, mon plaisir et j’ai l’immense chance que ce soit aussi mon métier : comment pratiquer efficacement un art si on n’en comprend pas les fondements ? Et quel bonheur de partager ses découvertes en les expliquant dans un langage qu’on s’efforce de rendre intelligible à tout le monde.

Avez-vous découvert des procédés étonnants dans la fabrication des couleurs de l’époque ?

En tant qu’archéologue collaborant avec des chimistes spécialistes de l’analyse des colorants, c’est plutôt l’incroyable intelligence empirique des phénomènes de la teinture par les colorants naturels dans les civilisations préhistoriques qui m’étonne, de plus en plus, à mesure que les découvertes nous reportent à des milliers d’années avant notre ère.

Ce qui est remarquable chez les teinturiers du XVIIIè siècle dont je suis en train de publier les œuvres, c’est leur sens de la gestion et de l’économie : ils utilisent et recyclent chaque ingrédient, chaque molécule de mordant ou de colorant est fixée sur le textile, jusqu’à épuisement des bains. Ce faisant, ils nous donnent aussi une grande leçon d’écologie.

Qu’est-ce qui différencie les procédés de fabrication d’aujourd’hui de ceux de la moitié du 18ème siècle ? Les pigments modernes ont-ils aidé à améliorer la qualité du travail des teinturiers ?

Ce qui différencie la teinture par les colorants naturels au XVIIIè siècle et aujourd’hui, c’est avant tout l’échelle : les teinturiers du XVIIIè siècle dont je publie les travaux teignent chaque année des milliers de pièces de draps de laine destinés à l’exportation vers tous les pays de l’immense empire Ottoman. Des pièces de 18 m de longueur sur 1,40 m de large, pesant dans les 17 kg sèches. Ils en teignent entre 8 et 13 par jour : on est déjà à une grande échelle industrielle.

L’adoption des colorants synthétiques présentés à l’état de poudres solubles a apporté une très grande facilité d’usage pour les teinturiers. A l’heure actuelle, on trouve cette même facilité grâce au progrès énorme que représente la fabrication depuis quelques années, en France notamment, d’extraits colorants en poudre à partir de très nombreuse plantes tinctoriales, la plupart cultivées en agriculture biologique.

C’est aussi la grande différence qu’ont apporté les colorants synthétiques, l’envers de la médaille de leur facilité d’utilisation : pollution massive de l’environnement, et mise en danger de la santé des travailleurs, dans les usines de fabrication des colorants comme dans les usines de leur utilisation.

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De plus en plus, la jeunesse s’intéresse à la pratique de métiers anciens. Avez-vous un message à leur faire passer ?

Il existe à présent en France et dans les pays européens de nombreuses écoles de design, d’art, de formation professionnelle à différents niveaux qui enseignent les techniques de teinture et de décoration des textiles par les colorants naturels. C’est un domaine passionnant à explorer, une nouvelle manière de travailler la couleur à découvrir.

Il existe à présent en France et dans les pays européens de nombreuses écoles de design, d’art, de formation professionnelle à différents niveaux qui enseignent les techniques de teinture et de décoration des textiles par les colorants naturels.

Qu’attendez vous de vos lecteurs en choisissant de leur transmettre ce savoir-faire exceptionnel ?

En général je n’attends rien de mes lectrices et lecteurs : j’écris juste pour partager mes découvertes et mes émerveillements avec un plus grand nombre d’êtres humains que ceux que je peux rencontrer personnellement. Les messages que je reçois fréquemment montrent que cela marche assez bien. Ce que j’espère toujours et c’est pourquoi je continue, c’est que la lecture de ces livres va tomber juste au bon moment pour aider quelqu’un à trouver un chemin qui la /ou le rendra heureuse/heureux.


Merci à François Schaal, fabricant de couleurs (https://www.schaalcolors.com/), pour avoir mené cette interview et merci à Dominique Cardon pour le partage passionnant de ses connaissances.

Vous pouvez retrouver ce livre, ainsi que tous les autres ouvrages des éditions Les Mots qui portent, sur Domouk ici

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Joubert Vincent

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