Interview de Rode G. Eybens, créatrice de l’univers de Dalgotem
Bonjour Rode, peux-tu nous raconter ton parcours, qui tu es, ce qui t’a amené à développer ce projet de fantasy riche et ambitieux ?
Rode G. Eybens, c’est mon nom de plume. Le prénom « Rode » signifie « rouge » en norvégien, une langue et un pays qui m’ont profondément influencée et qui occupent une place chère dans mes œuvres. Quant au nom « Eybens, » il renvoie à une ville française, tout en évoquant le bois d’ébène, symbole de profondeur et de mystère.
Je me considère comme une enfant du monde, issue d’un métissage riche en cultures et en histoires. Parler de mes origines, c’est comme ouvrir un livre de voyages qui traverse les époques et les royaumes. Cette diversité m’a donné le goût de l’exploration et m’a nourrie d’expériences, d’anecdotes, et d’émotions qui résonnent dans mes écrits.
Mon parcours est éclectique, car ma curiosité insatiable m’a poussée à explorer de nombreux domaines au fil des années. J’ai été tour à tour photographe, charpentière, dessinatrice, pour n’en citer que quelques-uns. Cette curiosité se reflète dans mon univers fantasy, qui est le miroir de mes passions et de mon regard sur le monde. Mon univers est un hommage à la géographie, à l’histoire des peuples, aux récits individuels, et à l’artisanat—depuis les infrastructures les plus modestes jusqu’aux reliques les plus légendaires. En somme, cet univers fantasy est un carnet de voyage imaginaire, un témoignage de l’humanité à travers le prisme de l’imaginaire.
« En somme, cet univers fantasy est un carnet de voyage imaginaire, un témoignage de l’humanité à travers le prisme de l’imaginaire. »
Comment est né cet univers fantasy de Dalgotem? Quel a été le point de départ ? Quelles sont tes inspirations ?
À l’origine, Dalgotem était un projet assez classique, une trilogie d’heroic fantasy racontant comment un personnage avait sauvé le monde. Les personnages avaient déjà leurs complexités, leurs forces et leurs faiblesses, et le monde possédait plusieurs espèces et une carte bien définie. Cependant, au fur et à mesure que je progressais dans l’écriture, l’univers a évolué bien au-delà de ce que j’avais initialement imaginé. Mon simple récit s’est transformé en un monde complexe, riche de détails et de profondeurs.
J’ai senti le besoin de développer le contexte géopolitique pour donner aux personnages une toile de fond solide, permettant ainsi de les ancrer dans un univers cohérent et immersif. Mon objectif était de créer un monde où chaque détail, jusqu’aux proverbes utilisés par les personnages, ajoutait à l’immersion du lecteur.
Pour construire cet univers, je me suis inspirée des mythologies anciennes, notamment scandinave et grecque, qui ont profondément influencé leurs croyants, tout comme les religions modernes avec leurs saints et prophètes. Je souhaitais que la spiritualité dans Dalgotem soit ouverte à l’interprétation, permettant à chacun de voir ce qu’il veut dans ces récits : une critique, une adhésion, ou simplement des détails à ignorer. Ainsi, la mythologie de Dalgotem devient une histoire à part entière, enrichie de héros, de mythes et de légendes, mais aussi parfaitement intégrée à l’univers.
Ensuite, pour rendre le monde de Dalgotem tangible, je me suis tournée vers l’archéologie et l’histoire. L’Antiquité avec ses pyramides égyptiennes et ses temples grecs, le Moyen Âge avec ses châteaux, tout cela m’a offert une riche source d’inspiration. Mais j’ai aussi voulu introduire de l’originalité, car les lecteurs cherchent à s’évader du monde réel. J’ai donc créé des environnements variés, emmenant les lecteurs des royaumes submergés aux terres célestes.
Enfin, il me fallait une histoire, à la fois familière et originale, capable de rassembler ou de diviser, avec des protagonistes et des antagonistes dont la moralité est laissée à l’interprétation du lecteur. Dans Dalgotem, il n’y a pas de bien ou de mal absolu, seulement des personnages qui luttent pour leur survie de chaque côté de la frontière. Je ne prends pas parti, je me contente de rapporter les faits, car les vainqueurs écrivent l’histoire, et je relate les conséquences pour chaque camp.
La première trilogie, parue en 2021, introduit un conflit qui dure depuis des siècles, centré autour de la sorcellerie. Dans ce premier tome, les sorcières se battent pour légitimer leur droit au trône de Myrdal, tandis que les Myrdaliens se divisent pour les en empêcher. Parallèlement, les elfes, pris dans cette guerre inévitable, doivent choisir leur camp, pour ou contre les sorcières. Cette trilogie est le pivot central de tous les récits de Dalgotem. Que ce soit les bestiaires, la mythologie ou d’autres projets, tout converge vers cette trilogie et la guerre qui s’ensuit.
Comment as-tu développé la géopolitique et les différentes espèces de ton univers ?
Les peuples de mon univers ont été conçus en fonction des traits de personnalité les plus marquants, afin que les lecteurs puissent ressentir une appartenance immédiate et directe avec l’un d’eux. Chaque peuple incarne une valeur fondamentale : les Cergals symbolisent l’honneur, les Elfes le savoir, les Feins la bienveillance, les Humains l’audace, les Langorians la protection, les Nains le labeur, et les Nertiques la fraternité. Mon objectif était de développer la politique des peuples et les enjeux qui en découlent, en fonction des fondements mêmes de leur société.
Cette idée m’est venue en observant les différents pays du monde et les motivations profondes qui poussent chaque nation à agir. Je me suis inspirée de la mentalité traditionnelle japonaise, de la gentillesse naturelle des Irlandais, du modèle de travail américain, ou encore de l’éducation norvégienne pour définir les caractéristiques de chaque peuple.
Pour ce qui est des intrigues géopolitiques, le processus a été bien plus méthodique. La carte du monde a d’abord été esquissée de manière grossière pour me laisser une certaine liberté créative. Avec l’aide de ma binôme archéologue, nous avons ensuite placé les différentes factions sur un diorama, puis listé les raisons possibles de conflits géopolitiques. En imaginant les guerres potentielles et les stratégies militaires, nous avons ajusté la topographie : réorganisé des chaînes de montagnes, élargi certaines vallées, ou encore creusé des côtes. L’objectif était de permettre des batailles épiques et de varier les tactiques militaires pour enrichir le récit.
« Je me suis inspirée de la mentalité traditionnelle japonaise, de la gentillesse naturelle des Irlandais, du modèle de travail américain, ou encore de l’éducation norvégienne pour définir les caractéristiques de chaque peuple »
Par la suite, nous avons réparti les ressources naturelles, car elles sont souvent la source des conflits et influencent les échanges commerciaux. Les climats ont également été pris en compte, un aspect que mon associée a géré avec minutie.
Le projet a pris une ampleur parfois écrasante, nécessitant la création de nombreuses fiches détaillées sur les personnages, les lieux, les cultures, ainsi que des chronologies couvrant trois millénaires pour chaque peuple et chaque dynastie. C’est d’ailleurs ce travail qui a mis en exergue la mythologie. Je voulais avoir des ouvrages qui figent définitivement l’histoire du passé. Cette profondeur historique et culturelle est essentielle pour offrir un monde riche et crédible, où chaque détail contribue à l’immersion du lecteur.
En quoi consiste ton travail d’éditeur ? Comment travailles-tu avec les illustrateurs/trices qui ont rejoint le projet ?
En tant qu’autrice de cet univers, je me considère un peu comme la chef d’orchestre d’un projet d’envergure. Mon rôle est de guider et de coordonner, mais aussi de laisser une large place à mes collaborateurs, afin qu’ils puissent interpréter mes mots à leur manière et exprimer pleinement leur créativité. Je privilégie souvent des artistes moins connus, car je crois qu’ils méritent d’être mis en lumière et que leur talent peut apporter une richesse unique à mon univers.
Dans les bestiaires, j’ai collaboré avec de nombreux illustrateurs. Le projet étant colossal et les délais serrés, il était impossible pour une seule personne de tout réaliser. Il a donc été nécessaire d’établir une direction artistique précise pour unifier les rendus tout en respectant la singularité de chaque artiste. Cette diversité a même été intégrée au récit : Erza, la narratrice de l’ouvrage, raconte comment ses apprentis, chargés d’illustrer le livre, ont tragiquement péri au cours de certaines aventures. Un clin d’œil à la fois sombre et humoristique !
« Mon travail d’éditeur consiste donc à faire en sorte que chaque artiste puisse apporter sa propre vision tout en maintenant une cohérence d’ensemble »
Parmi les artistes qui ont contribué de manière significative aux bestiaires, deux méritent une mention spéciale. Lepaondu, qui a magnifiquement illustré les phénix végétaux du volume II ainsi que de nombreuses autres créatures, et qui a aussi réalisé des gravures pour la future publication sur la mythologie. Mathias Vandermeersch, qui a donné vie aux portraits des Éthérés, aux portraits des dragons, et a conçu les couvertures des deux bestiaires.
Mon travail d’éditeur consiste donc à faire en sorte que chaque artiste puisse apporter sa propre vision tout en maintenant une cohérence d’ensemble. C’est un équilibre délicat entre direction et liberté, qui, je crois, enrichit considérablement le projet final.
Comment vois-tu la suite de développement du projet ? Quelles sont les prochaines étapes ?
Depuis la conception de cet univers et son enrichissement continu, il m’apparaît de plus en plus naturel de l’étendre à d’autres médiums, comme le jeu de rôle ou le jeu vidéo. Je serais ravie que les lecteurs, joueurs, et curieux puissent un jour explorer les terres de Dalgotem de manière interactive, en s’immergeant dans cet univers, en combattant pour des factions, et en devenant des acteurs à part entière du récit.
L’univers de Dalgotem est désormais prêt à prendre son envol vers des horizons plus vastes. La prochaine étape serait de trouver un studio et de nouveaux collaborateurs passionnés, prêts à se joindre à moi pour porter ce projet à une échelle encore plus grande. Je crois fermement que cet univers a le potentiel de captiver un public encore plus large et de se développer dans des directions créatives inattendues.
Quel type de jeu verrais-tu ? un MMO-RPG? Quels sont tes jeux de prédilection ?
Ayant grandi avec des consoles, mon premier instinct a longtemps été d’imaginer un open-world action-RPG dans la veine de Skyrim, The Witcher III, ou encore Fable. Ces jeux, avec leur exploration libre, leurs récits immersifs, et leurs univers vastes, m’ont profondément marquée. Cependant, après avoir consacré quatre années de ma vie à World of Warcraft, mon cœur penche désormais davantage vers le MMO-RPG.
Ce que j’apprécie particulièrement dans les MMO-RPG, c’est l’interaction directe entre les joueurs, la collaboration et l’échange qui peuvent s’établir, mais surtout la liberté qu’ils offrent. Chaque joueur peut choisir son propre chemin : ceux qui sont passionnés par l’histoire peuvent se plonger dans les quêtes principales, ceux qui sont fascinés par la magie peuvent farmer et améliorer leurs compétences, et ceux qui préfèrent le PVP peuvent s’engager dans des donjons et des guerres emblématiques de l’univers.
J’aime l’idée que le jeu débute à une période clé de l’histoire de Dalgotem, permettant à la carte et aux joueurs d’évoluer au fil des événements. Les joueurs pourraient voir des terres paradisiaques se transformer, des empires grandir, et des civilisations s’éteindre sous leurs yeux, influençant l’histoire par leurs actions.
L’objectif serait de créer un monde vivant et en constante évolution, où chaque joueur, à travers ses choix et ses alliances, contribuerait à façonner le destin de Dalgotem.
Peux-tu nous parler de ton futur projet -Freaky Roller Derby Skow- ?
Freaky Roller Derby Show est une bande dessinée queer qui se déroule dans un monde fantastique où règnent des mannequins, des vampires et des mafias. Les « freakys » – une communauté composée de loups, d’abeilles, de zombies et de dragons – tentent de trouver leur place dans cette société hostile. La BD aborde des thèmes engagés tels que l’écologie, l’identité, et la défense des minorités persécutées, et quoi de mieux que le roller derby pour incarner ces valeurs ?
Historiquement, le roller derby a été un symbole d’expression féministe, d’une mouvance punk, et plus récemment, d’une plateforme pour la communauté queer. À travers ce sport, Freaky Roller Derby Show cherche à sensibiliser toutes les générations, mêlant humour et action pour transmettre ses messages.
Le projet est soutenu par deux artistes queers, Chen King et Daniel Bosak, qui apportent chacun leur touche unique à l’univers visuel de la BD.
Daniel Bosak est un artiste-auteur qui a débuté sa carrière à la fin de 2023. Passionné par les univers sombres et mystérieux, il s’est spécialisé dans la dark fantasy, le macabre, et le body horror. Ces thèmes sont pour lui une manière de mener des quêtes introspectives. Daniel travaille avec moi depuis 2022, une collaboration qui lui a permis d’explorer diverses techniques et d’affiner son style. Ce projet de BD est un véritable défi pour lui, l’obligeant à sortir de sa zone de confort en matière d’immersion, de création de décors, et de colorimétrie.
Chên King (iel/lui), est un illustrateurice et concept artist queer et non-binaire. Influencé dès sa pré-adolescence par la BD franco-belge et les mangas, Chên s’épanouit finalement dans la fantasy, l’art médiéval européen, et la nature. Engagé dans la communauté queer, Freaky Roller Derby Show est un projet qui lui tient particulièrement à cœur. Que ce soit dans la conception des personnages, le thème sportif, ou l’environnement général, iel voit cette création comme un défi à la fois artistique et politique. Chên se charge des compositions des planches, des croquis et des lignes, tout en veillant à ce que l’univers reste à la fois réconfortant et militant pour la communauté queer. Iel soutient également la cohérence queer des personnages à travers leurs échanges et dialogues.
Et enfin quelle question ne t’a jamais été posée à laquelle tu aimerais répondre ?
Pourquoi as-tu choisi l’écriture pour exprimer ta voix ?
Je me suis longtemps cherchée à travers les arts. Jeune, j’étais pianiste et chanteuse, mais toujours avec une certaine pudeur. Je cherchais un moyen de traduire mes émotions, mais les octaves de mon clavier ne parvenaient pas à toucher le cœur du plus grand nombre. Avec le temps, le classique est devenu de moins en moins populaire, et ma voix, bien que expressive, n’avait pas les qualités nécessaires pour composer des albums. Je laisse volontiers cette place à ma sœur qui chante merveilleusement bien !
Passionnée de cinéma, j’ai tenté ma chance dans la réalisation de courts métrages. Je filmais tout ce qui pouvait être intéressant à monter, du large plan d’un paysage aux gros plans des détails subtils. J’ai entamé des études de cinéma, puis j’ai bifurqué quelques années vers la photographie. C’est là que j’ai appris le souci du détail, l’émotion, la complicité, et l’importance du décor. Cependant, ce parcours, aussi enrichissant qu’il ait été, a fini par m’épuiser. J’étais jeune et pas encore prête à affronter les réalités d’un milieu où les enseignants nous décourageaient souvent.
Finalement, l’écriture s’est imposée à moi comme l’art qu’on ne pouvait pas me refuser, l’expression de mes voix les plus intimes, qu’il s’agisse de mes insécurités ou de mes fiertés. J’ai vu dans l’écriture une chance d’être une artiste, une échappatoire dans un système parfois corrompu ou difficile à pénétrer. C’est à travers les mots que j’ai trouvé la liberté de créer sans compromis, d’exprimer ce qui résonnait en moi et de partager ces émotions avec les autres.
merci à Rode Eybens pour ses réponses.
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