Alice aux Pays des Merveilles de Paris

Le 27 mai, 2025 , mis à jour le 5 juin, 2025 — blackandwhite, dessin, fantasmagorie, illustration, noiretblanc, paris - 11 minutes de lecture
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Entre contes fantastiques, vieilles pierres et créatures d’encre, Delphine Di Maria nous embarque dans un Paris réenchanté. Derrière ses illustrations pleines de mystère, se cache un parcours à la fois instinctif, passionné… et un brin magique.

Peux-tu nous raconter le parcours qui t’as amené au dessin aujourd’hui ?

Enfant, j’ai été bercée par l’Histoire et les histoires. Très vite, j’ai ressenti le besoin d’inventer les miennes. Je me suis naturellement tournée vers le dessin. Avec seulement un feutre ou un crayon, je pouvait matérialiser mes pensées à loisir, sans me sentir frustrée ou incomprise. Cela a toujours été un refuge, un moyen de canaliser mes émotions et de calmer mes angoisses.

Le jour de mes dix-huit ans, mon beau-père m’a offert un vieux coffret de calligraphie. J’ai tout de suite voulu essayer les différentes encres et plumes qui s’y trouvaient. Mon premier projet a été la création d’un jeu de tarot à l’encre de chine et à l’encre dorée. Ce médium m’a tellement plu qu’une fois le jeu terminé, j’ai tout de suite enchaîné avec une nouvelle idée. Puis une autre. Et encore une autre !

J’inventais des contes juste pour pouvoir les illustrer : le texte n’était qu’un prétexte au dessin. Après la création d’une quarantaine de nouvelles et de plus d’une centaine d’illustrations à l’encre de chine, je me suis rendue à l’évidence : il fallait que j’en fasse mon métier.

Je me suis inscrite dans une Académie d’arts visuels à Neuchâtel et, à partir de là, je n’ai plus lâché le dessin. Ni l’encre que j’ai toujours pratiqué en autodidacte. Et cela n’a pas changé depuis !

Renard Polaire I
Renard Polaire – Delphine Di Maria

Ton univers est très riche. On pourrait parler entre autres d’Alice aux pays des merveilles de Paris ^^ ! Comment s’est-il constitué ? Quelles rencontres, découvertes t’ont amené à developper cet univers très personnel ?

J’aime beaucoup l’idée d’un « Alice aux Pays des Merveilles de Paris » car c’est exactement cette impression que j’essaie de transmettre dans ma série « Bestiaire Parisien ». Un univers à la fois familier et teinté d’étrangeté où s’entrelacent cauchemars et rêveries, lieux historiques et mises en scène imaginaires.

Mon enfance a été profondément marquée par une iconographie particulière, emblématique du Vieux Paris. Dans la galerie de mon père, expert en photographie ancienne, se mêlaient affiches d’art nouveau, daguerréotypes du 19ème siècle et livres d’histoire illustrés. Un enchevêtrement de vieux clichés, de cartes postales de collection et d’estampes qui me fascinait petite et a contribué à la construction de mon imaginaire. Le Paris nocturne de Brassaï, le Paris oublié d’Atget, le Paris romancé de Doisneau… des univers en noir et blanc, tour à tour merveilleux ou effrayants.

Après mon bac, j’ai décidé de suivre ma mère en Suisse. Durant presque dix ans, j’ai rencontré des personnes extraordinaires. Des amis, des professeurs, des artistes qui m’ont permis de grandir d’un point de vue artistique, technique, mais aussi de murir émotionnellement.

Cependant, Paris n’a jamais vraiment quitté mes pensées. Au fil des années, des images et des idées concernant la capitale se sont accumulées dans mon esprit. Il fallait que je mette tout ça sur papier !

C’est ainsi que mon « Bestiaire Parisien » a commencé à prendre forme.

À travers des jeux de texture et de matière, d’ombres et de lumière, émerge progressivement une vision alternative et fantasmée de Paris. Animaux géants, créatures mythologiques et personnages de contes de fées se mêlent au paysage urbain. Ils se déploient dans la ville apportant avec eux une touche de bizarre ou de tendresse, d’humour ou de crainte. Ils se fondent dans les ruelles, prolongent les boulevards, soutiennent les ponts, deviennent les clefs de voûte des monuments, cohabitent ou interagissent avec les passants. Les murs et les pavés de la ville se tapissent d’écailles et de plumes. Ses immeubles et ses jardins se munissent de griffes et de crocs. 

C’est la naissance d’une ville aux mille chimères faites d’os et de chair, d’encre et de papier.

Escargot Louvre

Quelles sont les embûches et obstacles que tu as rencontrés et comment les as-tu surmontés ?

J’ai beaucoup de mal à parler de mon travail. Dessiner a toujours été un acte intime, un moyen de cultiver ma solitude et de m’échapper du monde extérieur. Or, aujourd’hui, je suis consciente qu’il est indispensable de savoir communiquer afin de promouvoir ses oeuvres. Démarcher les galeries, attirer un public et se créer une audience sur les réseaux sociaux, tout cela fait partie intégrante du travail d’un artiste.

Bien sûr, je suis encore mal à l’aise concernant certains aspects des réseaux sociaux : les injonctions de plus en plus fortes à se filmer, se mettre en scène, à faire de son travail un spectacle pour générer des vues, un simple « contenu » soumis au caprice de l’algorithme… Et pourtant, sans eux, je n’aurai jamais pu rencontrer autant d’artistes et d’amateurs d’art. Des milliers de personnes qui, grâce à leur soutient, m’ont donné confiance en moi et en mon travail.

Je m’efforce d’avancer malgré ces ambivalences, de combattre ma timidité et mes blocages qui m’ont fait manquer de nombreuses opportunités. Depuis quelques années, j’essaie de plus en plus de mettre en avant mon activité à travers différentes plateformes et réseaux. C’est pourquoi, je suis ravie d’avoir la chance de participer à l’aventure Domouk !

L'Enfer

Raconte-nous, comment dessines-tu ? Dans quelle condition ? As-tu un rituel avant de commencer ? T’entoures-tu d’objets particuliers ? Une musique particulière, un gâteau à grignoter ?

J’aborde chaque dessin comme un passage qui me permettrait d’accéder au suivant. Il est un moyen d’expérimenter et de m’améliorer, de travailler de nouvelles textures, des effets de contrastes différents, des mises en scène ou des mises en pages inédites. Je crois que c’est pour cela que je n’arrive pas à m’ennuyer de l’encre. Les possibilités me paraissent infinies.

Les étapes d’un dessin sont toujours sensiblement les mêmes : tout d’abord, prises de photos et recherche d’archives ou d’images qui serviront d’exemples et de supports au dessin. Ensuite, élaboration d’un ou plusieurs brouillons préparatoires. Puis, dessin au crayon. Et, enfin, lorsque le résultat me convient, c’est au tour de l’encrage. Le processus entier peut prendre entre quelques heures à plusieurs mois selon le format et la complexité du sujet.

J’aime faire de longues sessions de travail, en particulier concernant l’encrage. Je commence par préparer l’encre : il faut qu’elle ait le temps de légèrement sécher afin d’être moins liquide et plus malléable. Il est plus difficile de travailler les nuances de gris de manière subtile lorsque le rendu de l’encre est trop lisse.

En attendant, petit-déjeuner et, surtout, une grande tasse de café ! J’établis également une « programmation » des podcasts, documentaires, musiques ou séries, que j’écouterai tout au long de la journée.

Je m’installe dans mon canapé, une planche à dessiner sur les genoux et mon ordinateur sur une table à côté. Et c’est parti pour sept à dix heures d’encrage.

Quelles sont tes inspirations, tes artistes qui te font avancer, rêver ?

Mes premières inspirations sont les illustrations de mes contes préférés. Les deux premiers qui me viennent en tête sont L’Oiseau Bleu écrit par Madame d’Aulnoy et illustré par Markéta Šišková et Contes Russes illustré par Giovanni Giannini.

En grandissant, j’ai découvert de nombreux artistes et notamment des graveurs qui n’ont cessé de nourrir mon amour pour le noir et blanc : Edouard Riou et ses magnifiques illustrations des romans de Jules Verne, celles de Jean Tenniel dans Alice aux Pays des Merveilles, les « animaux-humains » de J.J Grandville, les caricatures d’Honoré Daumier ou encore « Les Caprices » de Goya. Et aussi William Blake, Odilon Redon, Aubrey Beardsley,… et tant d’autres !

Toutefois, aucun artiste ne m’a fasciné autant que Gustave Doré. Petite, j’adorais feuilleter les fables de la Fontaine juste pour pouvoir admirer ses illustrations.

Pendant longtemps, la gravure a été au cœur de mon travail. Mon obsession était de reproduire à l’encre les différents traits et contrastes des œuvres que j’admirais. J’ai effectué des stages dans des ateliers d’artistes où j’ai pu m’initier à de nombreuses techniques.

J’ai parfois l’impression de faire plus de la gravure que du dessin. J’aime créer du relief sur le papier en grattant avec ma plume sans ajouter d’encre (cela permet des ombrages extrêmement subtils, impossible à obtenir autrement).

Depuis que je me suis mise sur les réseaux sociaux, je ne cesse de tomber chaque jour sur de nouveaux artistes qui m’éblouissent de leur talent. Et notamment de nombreuses artistes femmes.

Même si j’ai toujours eu une préférence pour les illustrations en noir et blanc, j’ai développé depuis quelques années un goût de plus en plus prononcé pour les artistes qui utilisent la couleur dans leur travail. Voici dix de ces fabuleuses artistes (même si j’aimerais en citer plusieurs dizaines !) : Eva Toorenent, Ryoko Rio, Anna Mond, Dewi Plass, Amelia Barnathan, Karolina Staroduba, Katharine Lindsey, Maggie Vandewalle, Annie Stegg Gerard, Molly Devlin.

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As-tu un projet que tu as en tête que tu voudrais développer dans un futur proche ? As-tu pensé à collaborer avec un auteur, scénariste, écrivain, ou autre pour une collaboration ?

J’aimerai beaucoup pouvoir un jour rassembler tous les dessins de mon Bestiaire Parisien afin d’en faire un ouvrage. Mais c’est plus un projet qui s’inscrit dans le temps long. Il me reste tellement de dessins à réaliser. Le premier dessin que j’ai imaginé pour la série « Bestiaire Parisien » est toujours dans ma tête ! Il s’agit d’un hommage à la cathédrale Notre-Dame de Paris. Depuis quatorze ans, je peaufine ma technique afin de pouvoir la réaliser exactement telle que je la souhaiterais.

À plus court terme, j’aimerais beaucoup collaborer avec d’autres artistes. J’ai quelques projets en cours, cependant je ne préfère pas trop en parler tant qu’ils ne sont pas terminés. Je suis un peu superstitieuse à ce niveau là !

Peux-tu nous recommander un livre, un film, une exposition et un bâtiment historique qui te tiennent particulièrement à coeur ?

Un livre : Toutes les nouvelles de Maupassant ! En particulier celles qui confinent au bizarre et à l’étrange allant parfois jusqu’au fantastique. « La mère aux monstres », « Sur l’eau », « La morte », pour n’en citer que quelques unes. Et, également, Das Parfum de Patrick Süskind, mon livre favori depuis de nombreuses années.

Un film : Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro. C’est un grand classique mais vu l’influence qu’il a eu sur mon travail, je suis obligée de le citer.

Une exposition : « Enfers et Fantômes d’Asie » qui a eu lieu au Quai Branly, il y a quelques années. Aucune exposition ne m’a autant marqué que celle-ci. Je recommande vivement le catalogue de l’exposition.

Un bâtiment historique : J’ai toujours eu un faible pour les vestiges parisiens du Moyen Âge et de la Renaissance. J’apprécie entrevoir, entre deux bâtiments haussmanniens, ces reliques à l’aspect un peu biscornu et mystérieux. Et, bien sûr, j’adore les légendes qui les accompagnent. Comme celles de la rue du Chat-qui-pêche ou la maison de Nicolas Flamel. De la magie, de l’alchimie, tout ce que j’aime !

Cependant, si je ne devais en choisir qu’une ce serait la tourelle en encorbellement de l’Hôtel Hérouet, à l’angle de la rue des Francs-Bourgeois et de la rue Vieille-du-Temple dans le Marais. Avec son toit en pointe et sa minuscule lucarne vitraillée, elle a vraiment des allures de tour de conte de fée. J’ai hâte de pouvoir un jour lui rendre hommage en dessin.

Merci à Delphine de nous avoir entre-ouvert les portes de son imaginaire et de sa vie de créatrice.

Vous pouvez retrouver les œuvres de Delphine Di Maria sur sa boutique DOMOUK: https://domouk.com/shop/delphine-di-maria

Joubert Vincent

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